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Comme à chaque veille du 20 août, les lieux où les citoyens ont pu préserver leur liberté de parole et la toile s’animent pour rappeler la pertinence et l’actualité de la plate-forme du congrès de la Soummam, laquelle demeure à ce jour la seule proposition politique à inspirer spontanément intérêt et débat dans ce qui tient encore lieu de classe moyenne. Des Algériens viennent de diverses zones du pays pour honorer un moment et un site soigneusement évacués des agendas publics. Cette attirance est d’autant plus surprenante que la doxa officielle appréhende ce projet par la censure ou des allusions péjoratives qui en édulcorent ou frelatent le contenu.
À l’inverse, le scrutin présidentiel qui doit se tenir dans une quinzaine de jours arrive dans une morosité générale. L’indifférence ne perturbe d’ailleurs pas outre mesure un pouvoir qui prépare sa reconduction. Les autorités qui ont programmé la campagne électorale pendant le mois d’août ne semblent pas disposer à faire de cette occasion un moment de discussion, même formelle, et encore moins de confrontation des opinions. C’est qu’en réalité tout le monde sait que les véritables échéances sont d’une toute autre nature.
La vie publique algérienne est ainsi faite depuis 1962. Les évènements occultés ou diabolisés par les officiels rencontrent ferveur et curiosité dans la société alors que les actions de ces derniers suscitent méfiance, dérision ou défi. Le gouffre qui sépare le régime des populations s’approfondit dangereusement sans que l’on ne prenne la pleine mesure des conséquences de ce périlleux antagonisme.
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A l’instar de tous ceux qui l’ont précédé depuis l’indépendance, le gouvernement annonce des lendemains qui chantent et appelle, lui aussi, à la défense d’une citadelle assiégée par des ennemis toujours plus nombreux. La fragilité politique, la précarité sociale et la stérilité diplomatique qui affectent le pays n’ont pourtant pas besoin d’adversaires extérieurs pour s’amplifier et se perpétuer. Quelques chiffres et données générales suffisent à dessiner l’amère réalité. Les investissements directs étrangers, IDE, connaissent un recul progressif pour descendre à un niveau jamais atteint. 2020 : 1140 millions de dollars ; 2021 : 870 millions de dollars ; 2022 : 75 millions de dollars. La somme dérisoire de cette dernière année, inclut le secteur des hydrocarbures ! A titre de comparaison et pour les mêmes périodes, le Maroc a accueilli respectivement 1420 millions de dollars, 2260 millions de dollars et 2180 millions de dollars. En 2022 les IDE captés par nos voisins de l’ouest sont 30 fois supérieurs à ceux drainés par l’Algérie (2180 contre 75 millions de dollars). L’inflation asphyxie le consommateur et nul ne se hasarde à prédire le jour où notre monnaie se redressera.
Sur un autre registre, la harga qui vampirise nos jeunes ne connait aucune pause et la fuite des cerveaux s’accélère, continuant de faire le bonheur des universités, des hôpitaux ou des start-ups françaises ou nord-américaines. Comme pour accentuer cette stérilsation intellectuelle et scientifique, les binationaux et, plus généralement la diaspora, sont désignés comme des vecteurs potentiels sinon de déstabilisation du moins de pollution nationales. Au point d’avoir constitutionnellement assimilé les premiers à des sous-citoyens auxquels sont interdites les missions régaliennes. Grande victime du tropisme islamo-populiste, l’éducation nationale poursuit un effondrement qualitatif aggravé récemment par une éradication suicidaire de la langue française qui, quoi qu’on en dise, fait partie intégrante de notre patrimoine linguistique et demeure, à ce titre, un des instruments de notre développement national. Cette manœuvre dictée par des motivations purement démagogiques est, du reste, sévèrement contredite par la vraie vie. Les familles se saignent aux quatre veines pour assurer à leurs enfants des cours de français et d’informatique en attendant l’opportunité de leur faire quitter le pays. De leur côté, les apparatchiks activent leurs réseaux pour faire inscrire leur progéniture au lycée français d’Alger Alexandre Dumas qui vient d’ouvrir 200 places supplémentaires. Non évoqué dans les évaluations institutionnelles, le désastre environnemental avec pollution de nappes phréatiques, désertification et déforestation massives est traité par le déni. Le jour où sera établi le bilan de notre aveuglement dans ce domaine, la sanction risque d’être lourde et, hélas, irrémédiable. Le gâchis touristique - le parc archéologique au nord et les sites du grand sud sont livrés à l’abandon - n'est pas le dégâts le moins dommageable pour un potentiel qui, s’il avait été valorisé, aurait pu constituer une source substantielle de devises. La vie culturelle est éteinte et les médias publics et privés sont des niches d’où se distillent propagandes et anathèmes ciblant tout esprit critique.
Pourtant, et on le vérifie dans le domaine agricole, lorsque des énergies sont libérées, la production nationale peut rapidement décoller comme en témoignent les étals des marchés où l’on peut maintenant trouver fruits et légumes en quantité. Il reste à faire de sorte que ces denrées soient mises à portée de toutes les bourses, ce qui est loin d’être le cas présentement.
Sur le plan géopolitique, le pays vit un isolement inédit. Outre la tension historique qui nous oppose au Maroc, nous sommes désormais indésirables au Sahel où le Niger et le Mali nous ont signifié sans ménagement leur rejet. En Libye, notre ambassadeur ne trouve rien de mieux que de demander au gouvernement de Tripoli de dissoudre une formation politique qui assume la dimension amazighe comme fondement identitaire de ce pays, provoquant ainsi une crise diplomatique dans un espace où nous sommes déjà inaudibles alors que nous avions vocation à figurer parmi les fondateurs privilégiés d’une Afrique du nord démocratique. Au nord, nos relations avec l’Espagne sont toujours en congélation et la dernière décision de désigner un chargé d’affaires pour gérer l’ambassade de Paris caractérise une compulsivité diplomatique échappant à toute rationalité. Il est vrai qu’il y a longtemps que la Grande mosquée de Paris est, de fait, l’épicentre de la représentation algérienne en France.
Sur la scène proche-orientale, notre radicalisme résonne dans le vide. Demander à un judoka algérien de ne pas concourir face à un Israélien aux jeux olympiques est au minimum une niaiserie, au pire une faute éthique et un dérapage politique. Les Palestiniens ou les Saoudiens ont refusé de recourir à ce genre de stratagème. Le problème n’est pas de parler avec Israël mais de savoir ce qu’on doit lui dire. Tout se passe comme si Alger redoutait de ne plus disposer du Palestinien martyr pour nourrir une vulgate panarabiste hors d’époque. Dans ces olympiades le paradoxe est également patent. Les deux médailles d’or algériennes sont le fait de deux jeunes femmes. Elles ont été obtenues dans des disciplines qui mettent à l’honneur la force et l’élégance des corps que des contempteurs, occupant d’éminentes responsabilités, travaillent à invisibiliser dans l’espace public. Les commentaires aigres doux qui ont accueilli les performances des deux athlètes disent beaucoup des charges qui pèsent sur la condition féminine. Mais sur ce sujet, sensible parmi tous, il y a longtemps que l’Algérie a été disqualifiée par un Code de la famille dont le président Boudiaf disait qu’il était une infamie.
L’état des lieux est calamiteux. Et ce n’est pas de la remilitarisation des administrations, dont les effets cosmétiques peuvent, un instant, faire illusion, que viendra le salut. On se souvient tous des colonels des services spéciaux placés dans chaque ministère et dont l’omnipotence inhibait disponibilités et compétences. En Algérie comme partout ailleurs, le militarisme n’est pas la solution mais le problème.
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Cette rapide esquisse, qui peut paraitre quelque peu sévère, ne représente pourtant qu’un échantillon des problèmes qui handicapent la nation. L’Algérie est dirigée par la dernière fournée des hommes qui prétendent encore à une « légitimité révolutionnaire » chaque jour un peu plus rognée par la légitimité religieuse. L’improvisation ou les opérations de colmatage ont fait long feu. Certes, le pays peut faire face aux urgences vitales tant que dure la crise ukrainienne qui engendre un renchérissement conséquent du prix du baril. Néanmoins, selon plusieurs analystes, ce conflit pourrait trouver son issue ou être gelé dans des délais avoisinant deux à trois ans. Autant dire le temps d’un clignement de paupières pour un pays comme le nôtre qui doit mettre à plat des chantiers institutionnels, politiques, économiques et diplomatiques escamotés depuis l’été 1957 quand, sous l’influence d’un Nasser se vivant comme le tuteur naturel de la révolution algérienne, fut enterré le projet soummamien que, miraculeusement, des enfants d’Algérie font vivre malgré les contraintes et les risques.
On ne triche pas indéfiniment et impunément avec l’Histoire. Elle fait toujours justice de l’imposture.
Les dirigeants actuels savent que le temps leur est compté. Ils s’honoreraient à faire preuve de lucidité et de courage en invitant à un examen de conscience national où les Algériens pourraient enfin exprimer leurs idées et convictions en toute liberté ; l’essentiel étant que maintenant que tous les courants se réclament de la démocratie, chacun s’engage à en respecter principes et valeurs. Il est urgent et fondamental d’entamer cette introspection. D’autres nations, a priori moins bien préparées que la nôtre, ont déjà bien engagé ce processus salvateur.
D’importantes évolutions spirituelles et religieuses sont à l’œuvre en Arabie saoudite, aux Émirats Arabes Unis ou en Jordanie. Il est encore trop tôt pour savoir si, comme leurs auteurs l’affirment, ces initiatives aboutiront à la réforme de l’Islam annoncée. Il serait dommage qu’une fois de plus les Algériens d’aujourd’hui dont les ainés furent des acteurs majeurs dans le mouvement de la décolonisation soient les derniers à chevaucher les archaïsmes du fondamentalisme.
Et quitte à traiter des sujets délicats, autant aller au bout. Le renouveau algérien ne peut faire l’économie d’une amnistie générale. D’abord pour les prisonniers d’opinion dont des centaines croupissent injustement en prison. Mais aussi pour d’autres personnes incarcérées et qui ont exercé des charges dans les rouages de l’État. Il ne s’agit pas d’absoudre les prédateurs de leurs forfaits ; mais si l’on veut donner une chance à un nouveau départ, il nous faut tourner la page des règlements de compte. Ces malversations n’ont pu être commises à pareille échelle que parce que le système en place - dont l’avènement et la prérennité ne peuvent être imputés à un homme ni même un seul clan -, a permis tant d’abus et de dépassements. Dans le désastre algérien, peu de personnes peuvent s’exonérer de leur responsabilité. Les coups d’Etat, les fraudes électorales, les censures et les alternances claniques où chaque secte donne en pâture la précédennte avant d’être à son tour l’objet de récriminations ou de sanctions vengeresses ont montré leurs limites. Le modus operandi qui a prévalu depuis 1962 a vécu. Vouloir le perpétuer fait courrir à l’Algérie d’inévitables et fatals périls.
La survie de la nation exige audace conceptuelle et innovation méthodologique.
Nous n’avons d’autres choix que d’assumer nos réalités historiques, culturelles et anthropologiques. C’est sur la base de ces paramètres que doit se concevoir l’architecture politico-administrative du pays. Faute de quoi, nous continuerons à vivre sous un État artificiel qui peinera toujours à domestiquer des communautés rebelles ; une conflictualité qui peut dégénérer dans de bien sombres perspectives. Il est des conjonctures dans la vie des peuples où le plus grand des courages consiste à regarder au plus profond de soi.
Cultiver la haine des autres n’a jamais libéré une collectivité qui refuse de se connaitre et donc de s’admettre pour ce qu’elle est. Le temps presse, trop d’occasions et de moyens ont été dilapidés. C’est bien connu, l’histoire repasse rarement les plats.
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Débattre sans concession mais sereinement est la dernière opportunité qui nous soit offerte. Si notre génération n’amorce pas ce ressourcement, il est à craindre que nos enfants - privés de libre arbitre et victimes de nos errements et démissions - soient les proies d’une internationalisation qui fera peu cas des groupes sociaux peu ou mal enracinés dans leurs mémoires et territoires. Un nouveau monde est en train de naître. Nous avons mal négocié le tournant de la décolonisation, nous n’avons pas anticipé la révolution numérique, nous ne pouvons nous permettre de faire avorter la renaissance nationale. Et cette résurrection ne peut s’accommoder ni d’artifices politiciens ni de faiblesses morales. Serons-nous à la mesure des enjeux ? Face à un adversaire appuyé par l’OTAN, des hommes ont apporté la démonstration que l’arbitraire ne résistait pas à la force de la volonté. Saurons-nous être dignes de cette dette ?
La Soummam a structuré nos espérances, le patriotisme commande maintenant de faire de cet ardent souvenir la source de notre avenir.