L’Algérien n’accorde aucune attention aux élections de demain. À raison. Sur le plan interne, la scène était écrite depuis longtemps. Le mouvement insurrectionnel est en voie de neutralisation faute d’avoir été encadré, doté d’une perspective et d’un agenda. Depuis plusieurs mois ; la stratégie du pouvoir est lisible. Passage en force après une campagne électorale législative loufoque qui accouchera d’une ménagerie à l’assemblée nationale. Répression tout azimut de la contestation et concessions massives à l’islamisme politique ont déjà annoncé les desseins du pouvoir. Les Djabelkheir et autre Bouraoui sont les offrandes sacrificielles destinées à illustrer la suppression du respect de la liberté de conscience dans la dernière constitution, legs du deal passé entre l’islamisme compradore et Gaïd Salah. Après la disparition de ce dernier, les nouveaux responsables coupent la connexion avec Rachad et optent pour la promotion d’un islamisme plus domestique, désormais assumé officiellement par le chef de l’Etat. Pour Alger, la voie égyptienne est donc le modèle à suivre. On observera que le fondamentalisme qui a saigné et stérilisé le pays est la base des constructions politiques du régime ; le militaro-islamisme demeurant toujours la matrice du système. D’un point de vue tactique, le projet s’appuie sur une astuce bancale : se désigner comme adversaires exclusifs Rachad et le Mak et ne se souvenir des autres forces politiques que pour les embastiller. Le scénario est puéril, mais il est là.
Reste à connaitre les raisons profondes qui inspirent une stratégie insensée qui plus est adossée aux causes de l’échec national. Sans compter les effets d’une redoutable crise sociale que les disponibilités en devises, même encore consistantes, ne peuvent résorber.
Comment un régime qui mobilise péniblement 10 à 15 % de l’électorat croit-il pouvoir éviter la pression interne et l’isolement international ? Il faut peut être regarder en dehors du pays pour y voir clair.
La Constitution algérienne autorise désormais le déploiement de l’armée en dehors de nos frontières. Après le dernier putsch opéré par un groupe d’officiers au Mali, la France a décidé de retirer ses troupes du Sahel pour n’y maintenir qu’une assistance militaire et des troupes spéciales. Par ailleurs, le chef de l’Etat algérien a récemment assuré que l’ANP pouvait se projeter à l’extérieur et qu’elle a même failli intervenir en Libye. La sortie sonne comme une préparation de l’opinion à l’application d’une nouvelle doctrine militaire algérienne.
Y aurait-il une forme de sollicitation de pays, dont le nôtre, jusque-là restés à l’écart du conflit, pour une sous-traitance militaire dans la crise du Sahel ?
En soi, la coopération militaire associant plusieurs intervenants face à une pandémie islamiste qui n’épargne aucune région du monde n’a rien d’anormal. Encore faudrait-il que les peuples concernés y trouvent cohérence et transparence.
Comment prétendre contribuer à une lutte efficace contre l’islamisme au Sahel alors qu’on lui livre l’ensemble des institutions en Algérie ? Tabler sur sa capacité à maitriser le processus de compromission au motif que l’on a promu la faction « bazar » de cette mouvance est un jeu aussi infantile que dangereux.
Qu’il soit radical, compradore ou de négoce, l’islamisme, s’il veut survivre, se doit de toujours éroder les anticorps de la citoyenneté. Ce qui veut dire qu’à un moment ou un autre, son imprégnation doctrinale s’imposera au pays. Y compris par la violence.
La seconde question que soulève cette nouvelle approche régionale renvoie à son coût financier, politique et diplomatique. Qu’attend en retour le pouvoir algérien de cet éventuel enrôlement au Sahel ? Si c’est une reconnaissance comme acteur de l’assèchement du djihadisme qui est attendue, il n’y aucune raison d’occulter une aussi noble intention. Si, au contraire, comme semblent le démontrer les dernières interviews de complaisances parues dans les médias français, la compensation est la couverture politique de l’arbitraire judiciaire et de l’illégitimité politique, la recette risque d’être amère pour tout le monde. Le concepteur ne tardera pas à se voir accuser de la sempiternelle collusion avec des dictatures corrompues pour perpétuer sa domination néo-coloniale et l’exécutant aura le triste privilège d’assumer le rôle de pantin de l’ex-occupant alors que sont toujours embouchées les trompettes de la repentance.
Demeure une autre considération : la plus importante. Deux ans de mobilisation citoyennes sont restées sans débouché politique. Les citoyens algériens doivent savoir que la France, comme d’ailleurs les autres partenaires de l’Algérie, traitera avec les dirigeants qu’elle aura en face d’elle et jamais avec la rue. Les élites ont failli. Il faut en prendre acte et s’employer à entamer la longue marche de la reconstruction de notre scène politique. Pour l'heure, la diaspora apparaît, une fois de plus, comme l’un des ultimes recours pour amorcer ce nouveau chantier.