On peut tout reprocher au pouvoir algérien sauf de ne pas être constant dans ses manipulations. Sur ce registre, le régime tourne en circuit fermé. Du moins dans ses intentions car sur la forme, rien ne semble arrêter la régression.
Depuis 1962, la réaction du système FLN est invariable quand il est mis face à ses turpitudes : agiter son triangle des Bermudes allant de l’ouest (Rabat) au nord (Paris), pour revenir sur l’ennemi intérieur : la Kabylie. La dernière information faisant état d’un démantèlement d’une « bande criminelle » attribuée au MAK qui s’apprêterait à poser des bombes parmi les manifestants fait partie de ces rituels d’alerte générale lorsqu’il y a urgence à faire diversion pour traiter les vrais problèmes par de mauvais procédés. Ce n’est pas le lieu d’en parler ici mais il faut peut-être rappeler que la question de la refondation nationale et celle de la perspective démocratique de l’Afrique du Nord ont fait l’objet de propositions crédibles et cohérentes depuis longtemps. D’autres voix se sont prononcées pour inviter à la réflexion sur l’autonomie des régions berbérophones, sans plus de succès. Or, c’est bien à ce dossier, au fond, que renvoie la surprenante sortie du ministère de la défense nationale.
En effet, on ne peut pas retenir dans ce vaudeville l’idée d’une manœuvre visant à provoquer des oppositions conflictuelles dans la société politique kabyle. Le message délivré le 20 avril dernier était clair et frais dans toutes les mémoires. Les manifestants déjà en marche avaient rebroussé chemin pour libérer le carré du MAK bloqué par les CNS. Cette réaction spontanée ne laissait aucune place à d’éventuelles supputations quant à la fabrication et l’exploitation de rivalités locales. La Kabylie ayant choisi le combat pacifique, il était vain de chercher à y faire stigmatiser une tendance par d’autres. Dans cette région, une tradition est désormais solidement établie : la libre expression de tous est garantie dès lors que sont respectées les valeurs démocratiques.
Nous sommes bien dans le menu classique qui consiste à réveiller le fantasme du danger permanent pour la matrice nationale. Il faut donc en appeler une fois de plus à l’union sacrée. La nouveauté est le caractère grotesque de l’opération. Car si le pouvoir a régressé, le citoyen, libéré de longue date de la peur et émancipé des propagandes, observe avec condescendance ou ironie les gesticulations officielles. En l’occurrence, l’hilarité générale relevée sur la toile témoigne de la dérision voire du mépris que réserve le citoyen à ces pathétiques agitations. De fait, les provocations précédentes, si elles renvoyaient aux mêmes causes, impliquaient les mêmes cibles et visaient les mêmes objectifs étaient néanmoins un peu plus élaborées. Battant tous les records du burlesque, la cuvée 2021 donne cependant deux indications qui sont des informations utiles dans cette affaire : le niveau de délabrement des institutions et la gravité des perturbations qui agitent le sérail avec - et c’est bien cela le plus préoccupant - l’affolement qui caractérise ce genre de séquence politique et, par voie de conséquence, les dérives qui peuvent s’ensuivre. N’a-t-on pas dit publiquement en 1980 que les Kabyles avaient brûlé une mosquée, le drapeau national ou le Coran ?
Il faut vraiment qu’il y ait péril en la demeure pour oser pareille manigance. Il ne faudrait pourtant pas se laisser abuser par le ridicule de la situation. Ne sous-estimons pas la réaction de la bête blessée. Cette cabale peut fort bien être annonciatrice de possibles et même probables turbulences dans le pays.
C’est pour cela que chaque acteur engagé dans les luttes démocratiques, surtout quand il évolue en Kabylie, doit, en tout lieu et en tout temps, soigneusement mesurer la portée de ses propos et actes. La moindre maladresse, le moindre dérapage verbal peut servir de prétexte à des décisions irréfléchies et dramatiques. En 2001, on a tiré à balles réelles sur des jeunes aux mains nues pendant plusieurs jours et dans plusieurs localités. 128 vies ont ainsi été fauchées sans que justice ne soit rendue. Et l’aveuglement qui a inspiré les actions les plus folles depuis l’indépendance est encore plus vrai aujourd’hui ; maintenant que le pouvoir, sans crédit politique, dépourvu de ressources financières et contesté de partout, s’enferme dans une aventure électorale sans issue.
Que chacun, indépendamment de ses positions et convictions, retienne et veille à consacrer une idée de base : la solidarité sans faille. Celle-ci doit accompagner aujourd’hui les militants pourchassés. Réciproque, systématique et sans exclusive, elle est un devoir et une solution qui s’impose à tous. C’est la meilleure réponse à donner aux amateurs de manipulations criminelles, la meilleure attitude à opposer aux obsédés du péril kabyle et la meilleure façon de pérenniser le débat démocratique dans le pays.