Le régime est toujours en place mais la rue algérienne s’est réveillée. Pourquoi ce potentiel citoyen peine-t-il à accoucher d’une alternative à la mesure de son exceptionnelle vigueur ? Faut-il se résigner à voir un miracle devenir mirage ? Vitales, ces questions ne peuvent et ne doivent plus être différées car face à une impasse chaque jour plus périlleuse, la classe politique déboussolée réagit à contre-temps.
Venue avec la dissolution d’une assemblée nationale qui continuait à siéger toute honte bue alors que le peuple investissait la rue pour un changement de système, la libération de certains détenus d’opinion, jeunes pour la plupart, est accueilli par la population avec un soulagement compréhensible. On ne peut donc que se réjouir avec les internés qui ont retrouvé leurs proches. De là à affirmer que ces élargissements sont des signes intangibles d’une volonté d’ouverture comme le suggèrent certaines voix, c’est aller un peu vite en besogne. D’abord d’autres citoyens sont toujours injustement emprisonnés ; ensuite parce que l’agenda des procès programmés pour museler les esprits autonomes reste en vigueur. Enfin, le remaniement cosmétique du gouvernement qui a vu l’élimination du ministre de l’énergie, Abdelmadjid Attar, l’un des rares hommes à mériter sa place, laisse penser que les coteries claniques sont toujours à l’œuvre, ce qui donne un avant-goût de la façon dont seront organisées les prochaines législatives. A priori et on ne peut que le déplorer, il n’y a rien de nouveau sous le soleil algérien, si tant est que la soleil soit prévu par la météo politique du système. Il ne faudrait donc pas que cette décision, du reste tardive et incomplète, voile l’essentiel qui demeure la sortie d’un ordre politique qui a dilapidé le patrimoine symbolique, asséché les ressources naturelles et dévitalisé le potentiel humain de la nation. Faire le point sans polémique mais sans tabou permettrait de voir quelles issues restent encore possible pour l’Algérie. Le but de cette tribune est d’inviter à réfléchir ensemble pour ne pas commettre les mêmes erreurs que celles qui ont fait perdre deux précieuses années au pays. D’où l’impératif de bien lire, tout dire pour mieux agir.
Une révolution inédite dans le tiers-monde a mobilisé une année durant les citoyens dans une détermination et une solidarité sans faille. Un miracle dans un pays construit dans l’opacité et géré par la violence. Evaluer ce mouvement après deux ans est nécessaire et urgent car, faute d’avoir travaillé à la clarification des enjeux, tout le monde, aujourd’hui, se réclame de la révolution de février. C’est bien connu, l’une des causes sur lesquelles prospère le populisme est l’absence de perspectives. De plus, la confusion intellectuelle et politique est propice aux impostures. Celle qui a handicapé la révolution de février était-elle inévitable ?
Avant d’être mise en suspens pour cause de pandémie, l’insurrection citoyenne avait montré des ressources insoupçonnées. Manifestations pacifiques, présence massive de jeunes et de femmes, revendication de l’Algérie libre et démocratique, slogan longtemps demeuré le cri de ralliement de la mouvance laïque, permanence de la mobilisation malgré la répression, désamorçage des tentatives de division lancées par le pouvoir…La collectivité nationale exprimait et vivait sa pleine maturité dans la modernité. Ce fut la première fois depuis l’indépendance que le peuple algérien faisait concrètement la démonstration de sa capacité et de sa volonté à faire peuple dans la tolérance et le respect de chacun. Rarement relevé, cet aspect demeure pourtant l’acquis le plus important de la révolution de février.
L’absence de débat, la peur du changement ou les calculs politiciens conduisirent les états-majors politiques à une lecture myope de l’insurrection citoyenne, ce qui les amena à des déclarations, des comportements ou des décisions en décalage et même en opposition avec la dynamique citoyenne. Relisons rapidement les postures des acteurs officiels.
Dans un premier temps, le pouvoir ne manqua pas de condamner la traditionnelle main des ennemis de l’Algérie. Devant l’échec de leur répression, les décideurs durent rapidement changer de tactique. Ils prétendirent avoir entendu l’appel du peuple et promirent même de l’accompagner tout en travaillant méthodiquement à l’étouffer.
De leurs côtés, des observateurs évoluant à la périphérie du régime et installés dans les sédimentations claniques tentèrent de réduire l’élan populaire au rejet du cinquième mandat alors que d’évidence, la mobilisation populaire annonçait la fin d’une époque.
Surpris, des islamistes tentèrent d’instiller quelques slogans spontanément neutralisés par la foule.
Sortant ici et là, des individus, poussés ou non par des centres de décision occultes, firent de l’autopromotion une stratégie. Chacun pensant que l’accès au pouvoir se jouait sur la toile, l’exposition virtuelle devint l’obsession hebdomadaire.
Curieusement, les deux principaux partis se revendiquant de la démocratie restèrent muets au moment où les idées qui les ont fait naitre irriguaient la revendication populaire. Un mutisme et une stérilité qui laissa pantois plus d’un. Était-ce une surprise ? Pas vraiment. Pour des raisons que l’Histoire aura à élucider, le renoncement au projet démocratique et le tropisme islamiste couvaient depuis quelques années. Des gestes et des actes qui s’avèreront être des marqueurs d’une profonde mutation politique avaient surpris plus d’un observateur.
Membre notoire du GIA, Layada fut invité au siège national du FFS et le RCD pactisa officiellement avec l’organisation Rachad.
Il faudra beaucoup de temps et d’investigations pour percer les raisons de ces retournements et les conditions de leur genèse. Contre toute attente, le militantisme à contre-emploi avançait sournoisement. On commença par suggérer que le congrès de la Soummam, source originelle du souffle rationaliste qui oxygéna le patriotisme algérien, étant clivant, il convenait de s’en démarquer. Plus tard, l’arrêt du processus électoral de 1991 fut renié…Cette volte face n’eut aucun effet sur le terrain. Le 27 décembre 2019 des milliers de manifestants brandissant les posters d’Abane Ramdane relièrent la révolution de février à la matrice soummamienne.
Privé de deux principales têtes politiques qui avaient la légitimité pour créer les conditions d’une traduction démocratique du soulèvement citoyen, le mouvement fit du sur place. Jusqu’au jour où, autre miracle, la rue appela à la désobéissance civile. Et lorsque, parmi d’autres, l’auteur de ces lignes invita à assumer cette proposition si on ne voulait voir la révolution s’étioler, les attaques les plus outrancières vinrent de ceux qui étaient supposés anticiper l’adaptation des luttes. L’épidémie islamo-populiste avait bel et bien contaminé le camp démocratique. L’élite organique ne se contenta pas de démissionner, elle était ouvertement investie dans la contre-révolution. Ce jour là, le pouvoir venait de remporter une manche et les partenaires de l’Algérie avaient enregistré une donnée déconcertante : la classe politique structurée, toute tendance confondue, ne pouvait pas et ne voulait pas s’inscrire dans la rupture systémique.
La même vitupération fut réservée à l’idée de faire émerger à partir de la base un cadre de débat pour rendre plus performante une mobilisation populaire qui commençait à douter d’elle-même car la ritualisation de marches hebdomadaires était perçue par les citoyens les plus avertis comme une impuissance à transformer un rejet en projet. Il fallait donc prendre acte d’un fait inédit depuis l’avènement du pluralisme politique : il n’existait plus de parti légal revendiquant le projet soummamien. Cette situation devait être entendue et intégrée car elle avait des implications très concrètes sur la reconstruction de la scène politique nationale.
Une grande partie des citoyens admet aujourd’hui que le rejet de la désobéissance civile et de cadre de concertation et d’orientation pour envisager une phase de transition fut une faute historique. Cette faute doit être analysée non pas pour accumuler de la rancœur mais ne pas retomber dans les mêmes travers maintenant que la mobilisation citoyenne renait après une année de pause forcée. Il n’est pas exagéré d’affirmer que si les uns et les autres avaient joué leur rôle, c’est à dire si ceux dont la mission et le devoir était d’aider à la lecture rigoureuse des luttes émancipatrices de notre pays et, au delà, de celles de notre voisinage, la révolution de février aurait probablement assuré la transformation à laquelle elle avait aspiré et, à terme, infusé dans tout le sous-continent nord-africain. Pour des considérations que l’Histoire aura à éclairer, il n’en fut rien. Relisons quelques situations qui constituèrent pourtant une part essentielle du patrimoine mémoriel des formations démocratiques et qui furent délibérément ignorées au moment où elles devaient être assidument revisitées.
Le mot est l’instrument de l’homme politique. Tout commence par le nom. Lorsque le mouvement de contestation appelé Hirak émergea au Rif marocain, il rencontra une sympathie spontanée dans l’ensemble d’un pays qui désespérait de voir se réaliser la monarchie parlementaire promise par un jeune souverain qui souhaitait se démarquer du règne autocratique d’un père dont le trône avait sérieusement vacillé après deux tentatives de coup d’Etat. La dynamique populaire se renforça et s’étendit bien au delà d’une région rifaine historiquement frondeuse.
Les revendications convergeaient toutes vers plus de justice, de liberté et de progrès. Jusqu’à ce que l’internationale islamiste décida de s’inviter à la fête à travers ses antennes de la diaspora marocaine dont les plus actives se trouvaient en Hollande où était établie une forte émigration rifaine. La suite est connue. Les mosquées devinrent le lieu de pilotage des manifestations. Commettant eux aussi une grossière erreur de lecture du mouvement, des activistes qui pensaient l’accession au pouvoir arrivée y élire domicile pour, croyaient-il, gagner en légitimité. Ils se firent les agents du détournement d’une insurrection citoyenne pour la connecter à un islamo-conservatisme profane, lequel devait disputer au Roi la pureté religieuse. Le Hirak marocain entamait son déclin. Le Makhzen - dont la proximité avec l’islamisme n’est pas sans rappeler le jeu du régime algérien avec l’extrémisme religieux- n’avait qu’à attendre. Les autres régions berbérophones marquèrent progressivement leur distance avec une inclination théocratique qu’elles reprochaient au Palais royal, les intellectuels qui accompagnaient la contestation avec le souci de l’étendre et de la structurer pour en faire un levier de modernisation du régime marocain se retirèrent des débats, les commis de l’Etat acquis à la réforme qui poussaient discrètement à l’ouverture de l’intérieur du système mirent un terme à leur audace et la répression s’abattit dans l’indifférence générale. Depuis, le Maroc est retombé dans la grisaille d’une gestion sans perspective. Pour combien de temps ?
Ce rappel vise deux objectifs. Donner à comprendre que les crises nord-africaines renvoyant souvent à des causes similaires ne peuvent pas connaître de solutions satisfaisantes sans une convergence régionale des luttes démocratiques ; ce qui amène à une seconde considération : l’analyse fine des événements qui surviennent chez chaque voisin est utile pour tous car il n’y aura pas de démocratie accomplie sans une synergie régionale.
En Algérie, le minimum de vigilance requis en pareille circonstance n’eut pas lieu où seul le mot Hirak subrepticement inspiré par des islamistes fut emprunté à la malheureuse expérience rifaine.
L’étude de l’étape soummamienne, pourtant assumée par les manifestants, ne connut pas plus d’intérêt. Elle eut été pourtant d’un incontestable apport si la déviation opportuniste n’avait pas rompu une filiation jalousement cultivée par la génération d’après-guerre. La proclamation du premier novembre aurait pu rejoindre le cimetière des appels orphelins de l’Histoire si elle n’avait pas connu le prolongement doctrinal, politique et organisationnel de la Soummam. Ben Tobbal m’avoua que sans la Soummam, les groupes armés de l’ALN auraient fini par être laminés par l’ennemi quand il ne se détruisaient pas les uns les autres. Lors d’une commémoration du congrès d’aout 1956, Ali Haroun, responsable de la communication dans la fédération de France du FLN, déclara publiquement en 2004 à Ouzellaguen qu’avant de recevoir la plate-forme issue des assises d’Ifri, le FLN était inaudible à l’étranger. M’hamed Yazid, qui fut avec Aït Ahmed un des membres de la délégation algérienne à New York pendant la guerre de libération avant de devenir ministre de l’information du GPRA fit la même confidence : sans l’organisation et la stratégie de la Soummam, le FLN demeurait une nébuleuse sans message et sans visage.
Dernier exemple : Avril 80 qui est passé à la postérité comme la pousse d’où ont bourgeonné les sujets structurants qui animent aujourd’hui le débat national. L’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri aurait pu n’être qu’un abus de plus si des militants ayant pris leur responsabilité devant l’Histoire n’avaient pas organisé la marche du 7 avril 1980 à Alger, appelé à la grève générale le 16 avril en Kabylie et occupé les entreprises économiques publiques, autant de désobéissances civiles qui ont donné sens et reconnaissance politiques à un mouvement qui menaçait de s’enliser dans les susceptibilités et les polémiques partisanes*.
Pourquoi ces analyses tant de fois commentées et étudiées dans les structures des partis de l’opposition démocratique ont-elles été ignorées en 2019 ? S’il est difficile de répondre à ces défaillances, il était essentiel de les scanner pour éviter qu’elles ne parasitent à nouveau la sève citoyenne renaissante.
La lucidité et l’engagement militant ont fait défaut au premier semestre 2019. Que cela relève de la peur, de l’ambition ou de l’inculture, il est impérieux de relire ce passif qui a lourdement handicapé et même failli stériliser un élan révolutionnaire sans précédent.
Nous sommes dans une séquence historique non pas identique mais semblable à celle qu’a connu le pays au début des années 1990. Les apparences communes sont nombreuses. Le peuple est foncièrement lassé par le régime qui continue à jouer de l’islamisme pour démotiver puis décourager le citoyen. Le chantage est toujours le même. C’est nous ou l’intégrisme. Les islamistes joue la partition symétrique. Sans nous, le système ne bougera pas, serinent-ils encore. Sauf que cette fois, le binôme militarisme-islamisme ne dispose pas des mêmes atouts. Les militaires ne peuvent plus se poser en sauveur et les islamistes qui avaient une incontestable emprise sur la société sont réduits a chercher refuge dans une rue qui en appelle à une démocratie qu’ils promettent désormais de respecter pour peu que l’on ne soit pas trop regardant sur les principes qui la définissent.
Comment se répartissent les forces en présence aujourd’hui ?
On vient de voir que la tentation islamo-conservatrice a peu ou prou contaminé ou carrément absorbé la classe politique organisée, pouvoir et opposition confondus. Exception qui confirme la règle, les noyaux issus de l’éclatement de l’ex PAGS. Modestes par leurs ramifications organiques, ces instances restent fidèles au projet progressiste. Le reste du champ politique est normalisé. Quant un tribunal prononce à Khenchela une condamnation de dix ans de prison contre un citoyen qui a déclaré être « un musulman laïc », il ne fait rien d’autre que ce que commettent des militants islamistes qui déposent plainte « pour offense à l’Islam » contre l’islamologue Said Djabelkheir qui joue son rôle d’intellectuel en âme et conscience. Lorsque des éléments issus des rangs démocrates invectivent des acteurs qui relaient l’appel des manifestants à la désobéissance civile alors qu’ils dressent l’oreille quand le même appel émane d’une officine islamiste de Londres ou de Genève, c’est que la confusion a submergé tout le spectre politique algérien. Stérilisé par le populisme, la classe politique traditionnelle, incapable d’adaptation et d’innovation, est inapte pour lire et traduire un phénomène sociétal inédit. La révolution de février a le mérite d’avoir donné un coup d’essuie-glace général sur un monde politique obsolète.
Reste la communauté citoyenne. Celle qui s’exprime dans la rue. Elle est majoritairement rétive au pouvoir, méfiante envers le fondamentalisme et désappointée par les revirements des pôles d’animation démocratique qui ont abdiqué devant l’appel de l’Histoire. Cette majorité d’idées, émiettée faute de mole où pourraient s’amarrer les convergences, n’est pourtant pas inactive.
Des initiatives diverses et pérennes s’affirment et s’affinent. Des intellectuels connus dans les combats historiques pour la démocratie, d’autres portés par leur notoriété ou révélés par l’insurrection citoyenne s’expriment, argumentent et participent à l’éclairage d’une opinion publique soumise aux martelages des médias du régime ou ceux des islamistes. Des écrivains comme Boualem Sansal, Amine Zaoui, Kamal Daoud, Mohamed Kacimi affichent leurs convictions avec courage et talent dans un univers formaté par la langue de bois ou gagné par l’alignement opportuniste. Des universitaires comme Said Djabelkhier cité plus haut, Sid Lakhdar Boumediene ou Mouloud Boumeghar honorent quotidiennement leur fonction de dissipateur des brumes qui étouffent les sciences sociales. Sur un autre registre, des militants qui n’ont jamais renoncé à leur idéal interviennent régulièrement pour rappeler les vérités factuelles, débusquer les impostures et valoriser les luttes pacifiques qui ont permis l’irruption de 2019.
Ils ont pour nom Mouloud Lounaouci, Said Doumane, Hend Sadi, Djamal Zenati, M’hand Amarouche, Brahim Sahraoui, Arab Aknine, Hamou Boumedine, Malika Baraka, Aomar Oulamara, Mahieddine Ouferhat, Arezki Aït Larbi, Tarik Mira, Ali Brahimi, Mohand Bakir, Mokrane Gacem... Parmi les jeunes, des pépites émergent. Samira Messouci, Akila Lazri, Mohamed Kebir, Khaled Drareni, Karim Ouachek, Meziane Abane, Nour El Houda Ougadi et tant d’autres sont restés inflexibles sur leur résolution à vivre dignes et libres dans leur pays.
Dans la diaspora, des énergies se mobilisent avec dévouement et des intelligences appuient et relaient les ambitions citoyennes de leur pays d’origine. Les agoras de la Place de la République à Paris ou celles de l’Amérique du nord sont autant de messages qui régénèrent l’apport historique de l’émigration à l’ambition démocratique nationale. Ces citoyens qui ne postulent à rien et qui peuvent ne pas être d’accord sur tout savent cependant que la cité algérienne ne doit rien céder quand il s’agit des bases qui fondent la démocratie républicaine. Ils savent aussi qu’il a suffi d’une période de difficulté économique et d’une fugace baisse de vigilance des élites turques, exaspérées par la tutelle militariste, pour voir le seul pays qui avait cru avoir définitivement conjuré les périls théocratiques par une laïcité de combat retomber dans la régression féodale.
Les contributions et témoignages de ces enfants de la Soummam recadrent les débats et permettent au citoyen de se reconstruire en accédant à l’échange argumenté et à la vérité historique.
Il nous reste à revendiquer ces porteurs d’eau pour en faire sinon nos guides du moins des repères fiables dans ces périodes où sont troublés tant de repères. Ce potentiel moral, intellectuel et politique qui a pesé sur les grands débats, évitant du même coup le naufrage de la nation, doit être rapidement doté de moyens médiatiques à la mesure de son talent et autorité.
L’idée d’un rassemblement citoyen, par ailleurs attendue, fut amorcé avec succès lors du lancement du projet de la charte pour l’Algérie libre et démocratique, ALD. En phase avec les attentes populaires, le document recueillit en quelques jours l’adhésion de milliers de citoyens issus de toutes les catégories sociales et de toutes les régions d’Algérie et de la diaspora. Il s’agissait de rechercher le minimum non négociable devant présider à la transition démocratique avant la construction de la nation citoyenne. Arrivée un peu tard, surveillée comme le lait sur le feu par la police politique qui avait interpellé ou menacé les responsables des premiers comités régionaux et percutée par la pandémie, la dynamique d’adhésion connut elle aussi une pause. Plus que jamais d’actualité, ce texte garde tout son intérêt et sa pertinence. Dans ce retour aux sources démocratiques, la Kabylie est une nouvelle fois convoquée par l’Histoire. Son rôle est capital et les ennemis de la rénovation nationale qui s’en prennent à ses référents et ses valeurs ne le savent que trop.
S’il est difficile de dire quel sera le terme ultime de la révolution de février, on peut d’ores et déjà en déduire un premier constat : il y aura un avant et un après février et la table rase du passé est déjà une réalité politique. Le système est à bout de souffle. Les dernières gesticulations du gouvernement sont autant de spasmes qui soulignent la perte de lucidité et la déconnection d’un pouvoir tétanisé par la peur et lesté par l’incompétence. Sa structure clanique, son autoritarisme, ses soutiens extérieurs ne peuvent pas durer. Les ressources financières s’épuisent, l’économie est dominée par l’informel, la précarité sociale atteint des couches de plus en plus larges et la définition de l’assiette fiscale est toujours une illusion. En termes structurels, les problèmes donnent le vertige : faillite de l’éducation, discrédit institutionnel, dégradation environnementale, fuite des cerveaux, corruption endémique, déclassement international, le régime laisse derrière lui un champ de ruine.
Les dirigeants doivent savoir que s’ils veulent être encore utiles à leur pays et lui épargner des périls qu’ils ne semblent pas appréhender, ils se doivent de renoncer aux bricolages qui ont systématiquement échoué dans des conditions et circonstances autrement moins contraignantes que celles auxquelles est confrontée présentement l’Algérie.
Dans une société profondément renouvelée, l’impatience et le désenchantement sont patents et le pacifisme qui a prévalu jusque là risque de ne pas durer indéfiniment. Les plus optimistes se consolent en se disant que sitôt la Covid 19 maitrisée, il suffira de remettre la clé dans le contact du moteur contestataire pour atteindre la vitesse de croisière des manifestations. Encore faudrait-il éviter le piège de la folklorisation hebdomadaire qui peut, à terme, empêcher un mouvement populaire sans équivalent dans le monde de s’accomplir. D’autres citoyens, probablement plus avertis de la chose politique, estiment que les processus historiques n’étant pas une matière congelable, il faut d’ores et déjà chercher à comprendre pourquoi des manifestations exemplaires qui ont perduré une année n’ont pas abouti à l’alternative politique à laquelle appelait le peuple.
Il serait trop long de rappeler ici pourquoi en Algérie, l’émancipation nationale ne peut pas venir, comme cela est généralement le cas, d’une mobilisation encadrée par une classe politique qui, en principe, a vocation à transformer une insurrection en ordre constitutionnel légitime. C’est de la rue qui peine à entrainer une élite évoluant à contre courant de l’Histoire que viendra le salut.
Il serait trop long de rappeler ici pourquoi en Algérie, l’émancipation nationale ne peut pas venir, comme cela est généralement le cas, d’une mobilisation encadrée par une classe politique qui, en principe, a vocation à transformer une insurrection en ordre constitutionnel légitime. C’est de la rue qui peine à entrainer une élite évoluant à contre courant de l’Histoire que viendra le salut.
* Ces considérations sont abondamment traitées dans le tome II de mes mémoires « la fierté comme viatique » qui sera sur le marché le 7 mars. Annoncé pour décembre, cet ouvrage a connu des retards inhérents à la crise Covid 19 qui a sérieusement impacté les mondes de l’édition et de l’imprimerie.