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"Débattre" par Said Sadi le 30/07/2020.

"Débattre" par Said Sadi le 30/07/2020.

Les procès d’intention furent permanents, multiples et souvent malveillants mais peu importe. L’essentiel est que désormais, le terrorisme intellectuel qui interdisait le débat est en reflux pour ne pas dire en débâcle et il faut s’en réjouir. C’est là un palier qualitatif important qui vient d’être franchi dans la tradition des luttes émancipatrices nationales. Aujourd’hui, le principe des préalables démocratiques n’est plus « haram ». Pendant plus d’une année, des appels à clarification et à discussion furent diabolisés, travestis et présentés comme un risque sinon une volonté de division des rangs. Les plus cyniques y ont même vu une manœuvre cachant des velléités de prise de pouvoir : la sorcellerie populiste a la peau dure.

Résonnance de l’Histoire

De plus en plus de voix, longtemps anesthésiées par les fetwas islamistes interdisant « l’idéologie », tentées par les calculs carriéristes ou, pour d’autres, cédant simplement à la lassitude et l’empressement à en finir au plus vite et à n’importe quel prix avec un système qui a tout consommé, tout consumé se libèrent. Elles aussi conviennent maintenant que nul mouvement politique n’a abouti s’il n’a pas de surface d’adossement dans son histoire féconde - avec le regard critique qu’appellent ses zones d’ombre -, une clarification des valeurs qui fondent ses aspirations, une matrice d’élaboration et d’évaluation de ses actions pour définir et, au besoin, préciser ses objectifs proches ou lointains. Les politologues le savent bien : dans le domaine de la démocratie, la prospective n’est jamais rien d’autre qu’une lecture fine de l’Histoire qui en infléchit intelligemment le cours.
Restent les référents adéquats dont nous pouvons nous inspirer et la façon de procéder pour arrimer l’Algérie à la modernité. C’est précisément à cela que servent les débats. Quel est notre défi ? Construire une nation démocratique, en l’occurrence compromise par un régime qui a asséché ses ressources symboliques, humaines et naturelles ; ce qui présuppose d’éviter de refaire les erreurs et fautes qui en ont empêché l’accomplissement.
Cette gestation implique de ne pas oublier que des opportunités ont existé par le passé, qu’elles ont été combattues et, hélas, vaincues par ceux dont nous essayons de nous débarrasser aujourd’hui. Fertiliser les graines de la Soummam n’est pas une nostalgie. C’est un acte de survie démocratique. Les valeurs énoncées en aout 1956 sont, dans leur esprit, les seules dans l’histoire de l’Algérie contemporaine à avoir porté les greffons conceptuels et méthodologiques qui permettaient de faire de l’arbitrage citoyen la clé de voute de la cité démocratique. Nous n’allons pas nous interdire de relever que l’Algérie combattante a fait le choix de « l’Etat démocratique et social » pendant que des charlatans réécrivent matin et soir l’Histoire à la mesure de leurs appétences.
L’Allemagne d’après guerre voit une bonne partie de sa résurrection citoyenne dans le programme de Bad Gottenberg du SPD, la Grande Bretagne raccorde sa vie collective à l’habeas corpus, la Tunisie cultive le bourguibisme, la France célèbre sa révolution de 1789 et, pour des raisons inavouables, des opportunistes grincheux veulent nous culpabiliser d’honorer la source soummamienne.
Depuis Athènes, il y a des bases éthiques et philosophiques qui ont permis l’émergence de grandes et généreuses idées. Ce long combat ne fut ni linéaire ni binaire. Comme toutes les luttes humanistes, il connut ses avancées, ses reculs et ses confusions. On ne peut que se féliciter de ce que l’Algérien ait construit ses espérances à l’aulne de ces balises en pleine guerre de libération pour affirmer sans ambages la nature républicaine du cadre dans lequel il souhaitait parachever sa libération. Ceux qui nous demandent de renier, de taire ou d’amputer la charge émancipatrice de cette fabuleuse séquence de notre passé récent sont dans une entreprise de négationnisme avec, et c’est probablement le plus grave, une manœuvre visant, sous une forme ou une autre, à la préemption du droit divin sur la collectivité ; droit dont ils se disent dépositaires pour légitimer une forme d’autorité devant laquelle celui qui est mal né n’aurait d’autres choix que de se soumettre.

Repères et valeurs

Ce que l’on brocarde, de bonne ou de mauvaise foi, comme de l’idéologie, au sens péjoratif du terme, c’est à dire en tant que processus d’endoctrinement, est en fait un corpus de valeurs sociétales qui transcendent les orientations idéologiques. On a vu des femmes et des hommes de droite et de gauche se rassembler sur des idées protégeant la vie, la liberté, l’égalité, la justice, la libre conscience, la foi intime…La plus vieille démocratie du monde, la Grande Bretagne, pour ne pas la nommer, a, pendant longtemps, pu absorber les communautarismes les plus éclectiques. Reste à savoir combien de temps tiendra cet équilibre après l’avènement du Londonistan. Les travaillistes et les conservateurs britanniques sont idéologiquement aux antipodes les uns des autres : il ne viendrait cependant à l’idée d’aucun de ces deux courants de penser à contester ou éroder un seul de ces fondamentaux. L’Allemagne est dirigée depuis trois mandatures par la fille d’un fervent pasteur. Elle n’a jamais laissé transparaître un référent religieux dans la gestion de son pays où ont vécu en parfaite harmonie pendant des siècles des protestants, des catholiques et des juifs ; jusqu’au cataclysme nazi. Ce cauchemar historique est, il est opportun de s’en souvenir ici, survenu, entre autres, parce que des esprits résignés ont commencé à négocier avant de capituler sur ces mêmes valeurs. Mais en Allemagne aussi la situation se tend pour les mêmes raisons. Pendant des dizaines d’années, des musulmans, essentiellement turcs, pratiquaient leur religion en toute quiétude ; jusqu’à ce que des groupes fidèles à Erdogan affichent leur prosélytisme.
En tout état de cause, au pays de Shakespeare comme dans celui de Beethoven ou ailleurs, les stabilités politiques et les harmonies sociales n’ont été possibles que parce qu’une vérité première a été définitivement consacrée : la religion est une question personnelle. A ce titre, elle ne doit ni être une contrainte pour celui qui ne croit pas ni être brimée quand elle reste dans l’intime du pratiquant. On le voit, le monde anglo-saxon, qui a certes ses spécificités et que convoquent souvent imprudemment les amateurs d’amalgames est sorti de son moyen âge religieux depuis longtemps.

Sommes-nous, en ce qui nous concerne, dépourvus de repères et de vécus dans notre passé pour ancrer une réflexion positive sur les sources d’inspiration de notre laïcité ? Non. Malgré une histoire aliénée par plusieurs invasions, il y a dans la terre de Tamazgha des référents solides et pérennes sur lesquels nous pouvons asseoir une société de modernité fidèle à sa mémoire. Les étudiants qui ont participé au séminaire clandestin précédant la création du RCD, organisé par Mustapha Bacha, Ferhat Mehenni et moi-même sur une plage située à l’est d’Azeffoun à l’été 88 et auquel avait été invité pour une nuit maître Ali Yahia Abdenour, se souviennent qu’une conférence nocturne avait porté sur la nécessité de traduire dans l’actualité la pratique du culte en Kabylie. De tout temps, le responsable religieux, désigné par les habitants et, au besoin, révoqué par eux, y est tenu à l’écart du traitement des affaires des villages qui dépend de l’instance représentative des citoyens. On a pu vérifier d’ailleurs que ces structures existaient aussi bien dans les monts de Tlemcen, l’Ouarsenis, les monts de Chréa ou les Aurès. On peut noter, à juste titre, que ces assemblées étaient réservées aux seuls hommes. Mais quelle communauté est spontanément entrée dans une modernité faisant place à la mixité pleine et entière qui la caractérise ?

A ce sujet, on ne peut manquer de relever l’inclination d’un profil d’observateurs bien identifiés qui martèlent jusqu’à l’obsession le poids de la religion - comme si quelqu’un avait un jour voulu empêcher un croyant de pratiquer - et d’occulter cette laïcité amazighe pourtant multimillénaire, évacuant du même coup un potentiel de modernité que nous envieraient bien des peuples à la recherche de leur destin. Il faudra bien percer un jour les raisons de ces censures et calculs.
Tout autour de nous, des expériences institutionnelles évoluent vers une moindre emprise cultuelle. La moudawana marocaine, si elle n’a pas totalement libéré la femme, est bien plus libérale que notre code de la famille. Grâce à Bourguiba qui a ouvert son pays à l’universalité dès l’indépendance, la Tunisie dispose d’une constitution où l’apostasie n’est plus sanctionnée et l’héritage, totem de l’islamisme, a été aligné sur le droit universel par le défunt Beji Caid Essebci. Le parti Ennahdha a dû reconnaître l’intégralité des fondamentaux démocratiques avant d’être pleinement intégré dans la scène politique. Pour l’instant, cette formation s’affiche en tant que parti conservateur comme en existent tant d’autres dans les pays démocratiques. Faut-il baisser la garde ? Evidemment non. Malgré cette apparente conversion, ittuɣal iten id uyefki, il arrive régulièrement que Ennahdha tente de remettre en cause ces acquis. Les élites tunisiennes, de diverses obédiences politiques, au rang desquelles les femmes assument les premiers rôles, et que, soit dit en passant, nous gagnerions à regarder avec plus d’humilité, réagissent instantanément et solidairement dès que ces principes sont menacés. Le « kifkifisme », qui prétend transformer chez nous une démission ou une compromission en sagesse, est une maladie honteuse chez nos voisins de l’est.

A côté des préalables démocratiques, désormais incontournables dans le débat, doit figurer un autre postulat : le soutien inconditionnel à toute victime d’un abus ou violence*. Les militants du Mak qui se battent pacifiquement pour leurs idées viennent d’être la cible d’attaques islamistes justifiant l’utilisation des armes contre eux. Qu’ils trouvent ici l’expression de mon soutien sans réserve. On ne peut que déplorer les réserves, justement, les hésitations, les sélectivités, les silences de parties qui, par ailleurs, prêchent l’union et même la transcendance, devant cette lâcheté ou d’autres agressions.

Horizons

Où en est-on actuellement ?

En dépit de mille et un tracas, l’Histoire respire et…avance. L’évolution saluée au début de cet écrit a du sens. Autre signe majeur dans la sociologie politique algérienne : la diaspora est, une fois de plus, à l’avant-garde de la réhabilitation de la modernité patriotique. Nous aurons à nous souvenir de cette fidélité démocratique quand viendront les temps des bilans. Il ne faudra plus que la négation de l’héroïsme et de la performance de l’ancienne fédération de France du FLN se renouvelle.
Sur le territoire national, la pandémie Covid 19 sur laquelle spéculent les tenants de l’ordre militaire pour perpétuer leur règne peut encore durer quelques mois. Par esprit de responsabilité envers soi-même, devoir de solidarité avec ses proches et respect dû aux personnels soignants, chacun de nous est appelé à la maitrise de soi pour traverser avec le minimum de dégâts possibles les périodes où le froid obligera à des regroupements dans des lieux de vie confinés et surpeuplés. Par immunité naturelle ou grâce au vaccin qui peut arriver plus tôt que prévu, l’épidémie passera. L’Algérie devra alors affronter ses problèmes sociétaux et ses inhibitions historiques dans des circonstances économiques et sociales particulièrement difficiles.

Puissions-nous d’ici là avoir bien réfléchi pour reprendre, dès la fin de la pandémie, les luttes qu’appelle notre Histoire dans des conditions autrement plus rationnelles que celles qui ont prévalu jusque là. Puissent alors les fondations démocratiques progressivement, douloureusement entreprises en 1949, 1956, 1963, 1980, 1988, 1989, 1992, 2001, 2011 et 2019 accueillir enfin les murs de la maison de la liberté et de l’honneur tant de fois démolis par les violences, les démissions et les trahisons.

A toutes et à tous bonne fête.

*NB : Des citoyens de la diaspora canadienne ont rendu publique cette semaine une déclaration de soutien et de solidarité suite à la campagne de diffamation menée contre moi par la nébuleuse Rachad. Certains ont proposé de se porter partie civile dans ces procès. Que ces soldats de la fraternité démocratique trouvent ici ma considération citoyenne et militante. J’ai bien compris que leur engagement dépasse la personne à laquelle elle est apportée : c’est là une expression consubstantielle au combat qui soude les patriotes. Et c’est précisément ce qui lui donne toute sa valeur.
Ma décision de ne rien laisser passer a pour objectif de protéger la scène nationale de ce qui est au mieux une délinquance politique au pire du terrorisme, physique ou verbal, visant à intimider, menacer et, à terme, faire taire celles et ceux qui oseraient démasquer les impostures politiques d’un courant qui, en fait, n’a jamais renoncé à la violence et qui reste déterminé à exclure tout idée, toute aspiration extérieure à son dictat. Les opérations commandos de la Place de la république testées à Paris et les attaques lancées contre le Mak viennent rappeler les agressions que n’hésitent pas à s’autoriser ces nervis même en tant qu’étrangers vivant dans un pays démocratique.
Pour information, deux procédures sont en cours. La première vise un certain Salim Laibi, c’est une citation directe qui est déposée devant la justice. L’autre concerne les dénommés Boukhors Amir dit Amir Dz et Mohamed Larbi Zitout. La plainte est finalisée mais elle devra être précédée par l’ouverture d’une information judiciaire pour obtenir les coordonnées précises des deux accusés : adresses officielles, filiation… données sans lesquelles aucune démarche fiable ne peut être entamée.
Outre leur dimension pénale, ces procès sont aussi une opportunité qui permettra d’avoir le débat public qu’escamotent des acteurs qui avaient longtemps cru imposer leurs vues à travers la puissante logistique financière et médiatique dont ils disposaient.

Le 30 juillet 2020.

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