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" COVID 19 : le mauvais calcul du pouvoir" par Said Sadi le 155 Juillet 2020

" COVID 19 : le mauvais calcul du pouvoir" par Said Sadi    le 155 Juillet 2020

Le système qui sévit depuis 1962 semble toujours tenté par un jeu aussi dangereux que vain : instrumentaliser la redoutable épidémie en cours pour reprendre la main. Les réactions d’imprudence, individuelles ou collectives, générées par le rebondissement du fléau chez nous en disent autant sur l’exaspération des populations, que sur l’absence d’autorité crédible et les limites des structures sanitaires du pays. Des services d’urgence sont déjà saturés et nous savons tous que le nombre de contaminations annoncées est bien en deçà de la réalité. Les quantités de dépistages sont dérisoires, y compris dans des zones ou lors de circonstances ayant abrité des regroupements massifs en l’absence du minimum de précaution. Il faut s’attendre, en tout cas il ne faut surtout pas l’exclure, à ce que le rebond actuel dure et même, si des mesures urgentes et appropriées ne sont pas prises, qu’il puisse connaitre une sérieuse accélération avec l’automne et l’hiver quand les personnes vivront plus longtemps dans des espaces confinés.

L’indiscipline de certains citoyens, qui a sa part de vérité, ne doit cependant pas camoufler l’état de déshérence dans lequel se trouve le système de santé algérien. Il y a deux ans et demi de cela, je dénonçais* un acte criminel de Bouteflika qui avait rayé d’un trait de plume la construction de cinq centres hospitalo-universitaires ( CHU ) de dernière génération programmés à Tlemcen, Alger, Tizi-Ouzou, Constantine et Ouargla pour financer le gouffre de la grande mosquée d’Alger. Celles et ceux qui pérorent aujourd’hui contre la « Issaba » s’inclinaient devant le « chantier grandiose du chef de l’Etat ». La déchéance actuelle de Bouteflika et le jugement que l’Histoire réservera à son long et dégradant règne sont des sanctions méritées. Les capacités financières, les disponibilités humaines et les opportunités internationales qu’il a fait perdre à l’Algérie ne reviendront pas. Du moins pas de sitôt. L’homme qui a renié tous les engagements pris publiquement (réformes de l’éducation, de la justice, de l’Etat, du foncier, de l’environnement...) ne mérite ni compassion ni miséricorde. Son despotisme ne doit néanmoins pas nous faire oublier une chose essentielle : l’homme n’était que le représentant d’un système toujours en place. Et la sévérité de l’impact de la pandémie n’est qu’une autre manifestation, certes tragique, d’un cauchemar qui dure depuis 1962.

S’il veut y mettre un terme définitif, l’Algérien doit savoir maîtriser sa colère, si légitime soit elle, et ne pas céder à l’action manipulée ou spontanée qui, non seulement pourrait l’exposer, mais propagerait de manière exponentielle la contamination virale. Et le pouvoir aurait alors beau jeu d’assimiler cette colère mal contenue à une forme d’irresponsabilité difficilement tolérable dès lors qu’elle met en péril la survie de nos communautés.

Il n’est jamais simple de faire valoir le calme et la raison quand trop de malheurs et de mensonges ont brûlé des millions de vies. Pourtant, le défi de l’heure est de réfléchir sérieusement, intelligemment, courageusement à la suite des événements en évitant les improvisations, les précipitations, les liaisons dangereuses et la répétition des dérives qui ont tant de fois heurté et perturbé la construction de notre Histoire. Les conséquences et implications de cette pandémie sont loin d’avoir été toutes identifiées. C’est à un basculement historique inédit qu’il faut se préparer. Ceux qui jouent de la situation en espérant un épuisement des populations comme ceux qui appellent à reprendre les manifestations pour assouvir leurs impatiences sont animés par la même indigence et le même cynisme politiques.

Cette pause peut être un mal pour un bien si elle est mise à profit pour poser les vrais problèmes et prévenir des erreurs et fautes commises dans le passé mais aussi pendant la révolution du 22 février. Cette dernière a été peu à peu minée par les infiltrations, le carriérisme et, surtout, le populisme ; autant de toxines qui ont paralysé l’évolution dynamique qu’exigeait la situation et que demandait la rue qui prônait la désobéissance civile et une organisation temporaire et adéquate de l’énergie citoyenne pour imposer une transitions démocratique maintenant différée à cause de lectures primaires et sectaires. Il importe peu de connaître aujourd’hui les motivations et les auteurs de ces deux blocages. Le plus important est que ces erreurs et fautes ne se reproduisent plus.

Pourquoi le vote, même libre, peut-il conduire à la dictature si cet acte éminemment citoyen n’est pas protégé par l’humanisme républicain ? Quelle est la différence entre le politique, l’idéologie et l’humanisme, justement ? Il faut encore et toujours acculer à la clarification des concepts et des positions. L’égalité des sexes, la liberté de conscience et de culte, le respect de l’intégrité physique de l’Homme qui proscrit la peine de mort ou la séparation des champs politique et religieux ne relèvent pas du registre de l’idéologie. Ce sont des acquis qui font partie des avancées de l’Humanité. L’idéologie n’a rien de honteux mais c’est autre chose. Un régime peut opter pour une économie plus libérale ou plus dirigée pour des convictions idéologiques. On peut, selon sa doctrine idéologique, étendre plus ou moins largement la protection sociale, l’accès à la culture…On peut se revendiquer de droite, de gauche ou du centre, cela c’est de l’idéologie. Reste la politique : c’est la façon de décliner et de mettre en œuvre, ces approches doctrinales à travers un programme définissant les affectations budgétaires, les priorités et les agendas.
Les fondamentaux démocratiques, eux, ne relèvent par de l’idéologie. Ce sont les préventions humanistes qui protègent contre le régnant toujours tenté d’abuser de son pouvoir. Ceux qui les nient ou les fuient aujourd’hui sont les tyrans de demain. La vocation de la transition est de dissiper le brouillard culturel qui a permis de faire n’importe quoi au nom de la démocratie. Trop d’inepties ont été imposées au peuple parce que l’on n’a pas posé le minimum de principes qui régissent la cité démocratique. Et cela nous a couté cher. L’article 2 de la constitution qui stipule que l’Islam est religion d’Etat est autant une absurdité politique qu’un poison moral. Sauf à s’assumer comme théocratie, un Etat démocratique n’a pas de religion. Il a des institutions, des normes et des règles qui permettent au citoyen d’être l’arbitre permanent de son destin avec des droits et des devoirs, c’est à dire des bénéfices et des obligations civiques. Le culte est une question de foi personnelle qui en appelle exclusivement au libre consentement. C’est dire s’il y a matière à discussion.

On rétorquera que pendant ce temps, le pouvoir exploite cette crise sanitaire pour tirer profit de l’isolement qu’elle exige des citoyens. Certains notent, à juste titre, que les pratiques les plus obliques de la police politique, un instant contenues par la mobilisation populaire, ressurgissent avec brutalité, notamment dans le domaine de l’information. Le pouvoir se saisit en effet de l’impossibilité de manifester pour rogner encore plus sur les espaces de liberté laborieusement conquis. Tout cela est vrai. Mais un pouvoir - déjà handicapé par les conditions même de son émergence - qui compte sur les périls que fait peser une pandémie qu’il a été incapable de gérer ne peut pas prétendre à une pérennité admise par le peuple. Le dirigeant qui spéculerait sur ces lugubres hypothèses commettrait un bien mauvais calcul. Combien de régimes tyranniques et même de civilisations ont été emportés par des épidémies ? Pour rester dans la proximité historique, il faut être bien aveuglé par la peur ou l’arrogance pour ne pas comprendre que le tiers-mondisme a vécu. La mise à plat générale est inévitable.

Encore faudrait-il ne pas échapper à la peste pour mourir du choléra.

Said Sadi.

* Article publié dans le journal américain Middle East Eye du premier mars 2018.

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