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Idéologie dites vous ? par Said Sadi 26-06-2020

Idéologie dites vous ?  par Said Sadi 26-06-2020

Un peuple meurt ou régresse quand il ne tire aucune leçon du passé. Après avoir attaqué le projet de la Soummam en aout 1957 au Caire et assassiné son concepteur en décembre de la même année au Maroc, le courant arabo-islamiste, dopé par Nasser, eut une idée de génie. Il décréta que tout énoncé prônant des précautions contre l’arbitraire, toute évocation de principes humanitaires garantissant les droits du citoyen et les libertés fondamentales devait être différé : il fallait se liguer contre l’ennemi, ensuite tout sera facile entre frères.

Le problème est que pendant que les modernistes du FLN s’employaient à faire la guerre, les islamo-populistes, eux, s’occupaient d’idéologie. Les camps d’entrainement de l’armée des frontières étaient déjà soumis au dogme conservateur et El Moudjahid, abandonnant sa fonction de défenseur de la perspective républicaine, se faisait insidieusement l’écho de l’islamo-populisme. En fait, de l’idéologie, il n’y eut que cela après l’assassinat d’Abane. Idéologie arabo-islamiste s’entend. La nature ayant horreur du vide, celle-ci qui s’installa d’autant plus facilement en 1962 que les républicains avaient été complexés par le nationalisme des Oulémas qu’ils avaient péniblement accrochés aux derniers wagons de la révolution.

On notera que les arabo-islamistes avaient réussi le tour de force d’indexer comme « toxicité idéologique » les principes en qui, en fait, relevaient de l’humanitaire ou de la philosophie comme l’égalité des sexes, la liberté de culte, le respect de l’avis minoritaire…

Nous sommes rigoureusement sur la même supercherie aujourd’hui. Le courant fondamentaliste, représenté par Rachad, ayant, lui, tiré les enseignements de ses échecs a appris la leçon. Pas d’idéologie veut dire pas de référents humanistes ³fondant la démocratie. Et si la diabolisation idéologique ne suffit pas, il reste toujours la manœuvre qui consiste à assimiler des principes universels à une « perversité occidentale ». Concrètement, Rachad qui a pour l’instant gagné le premier round, a implicitement imposé la chariâa qui, bien évidemment, n’a rien d’idéologique. Il suffit de jeter un œil sur les sites rachadiens pour se rendre compte qu’un mot d’ordre y est unanimement martelé : l’exigence de réouverture des mosquées où, chacun le sait, on n’a jamais fait d’idéologie. Après 63 ans, Rachad rejoue la leçon du MALG qui a si bien réussi à l’islamo-populisme pendant la guerre. Rien de plus normal, dira-t-on de la part d’un mouvement qui se revendique de l’ordre islamique mondial. Le problème est que des acteurs qui se disent démocrates relaient et portent ce marché de dupes dont on sait ce qu’il a coûté au pays. L’heure étant grave, on ne va pas s’encombrer de coquetteries ; en politique cette fonction a un nom : l’idiot utile. Il faut espérer que ceux qui se reconnaitront dans cette catégorie sauront éviter le reflexe de la susceptibilité ou de la polémique pour engager la réflexion, individuelle ou collective.

Qu’est ce qui se profile aujourd’hui ?
L’internationale islamiste est en crise. Le wahabisme recule et nul ne peut dire comment va se terminer la stratégie de MBS qui essaie de sauver le trône saoudien en tentant une nouvelle approche prétendant explorer une perspective différente de la traditionnelle équation américaine qui postulait le wahabisme comme un rempart contre le monde communiste…En tout cas tel fut le cas jusqu’au 11 septembre 2001. Pour l’heure, c’est la tendance Frères musulmans, pilotée par la Turquie et le Qatar, qui a le vent en poupe dans l’islam politique. Elle se donne les moyens de sa conquête en finançant ses filiales, en formant ses agents et orientant ses adeptes dans le cadre de sa stratégie globale. Pour les Frères musulmans, la citadelle qu’il faut d’abord prendre c’est l’Afrique du Nord. L’irrédentisme amazigh est une question dont il faut s’occuper en priorité. De plus cette région, pourvoyeuse de vieille émigration est un bon porte-avion aux portes de l’Europe quand arriveront les grandes manœuvres. Militairement, la porte d’entrée est la Libye où les deux tuteurs, Ankara et Doha, ont déjà établi une solide tête de pont. Cela pour ce qui est de l’aspect militaire. Politiquement, les Frères musulmans ont bien anticipé leur « Reconquista ». En Tunisie Ghannouchi, particulièrement subtil, est une bonne pierre dans le soulier bourguibien qui a permis à la femme de marcher et au Maroc, l’entrisme gouvernemental fut et demeure, en dépit de quelques revers, pourvoyeur de substantiels dividendes. Il suffit de suivre les remarquables analyses du militant amazigh Ahmed Assid pour s’en rendre compte. En Algérie, Rachad qui a tenté d’anesthésier la Révolution du 22 février par la fatwa interdisant « l’idéologie » a, entre autres missions, celle d’aliéner la Kabylie. Des spécialistes turcs revisitant l’histoire de la Régence ont expliqué à Erdogan que tant que cette région n’est pas domestiquée, le projet islamiste sera sous hypothèque en Afrique du Nord.

Deux recommandations sont faites à Rachad : renoncer aux violences collectives commises par le FIS dans « la province du Djurdjura » pour privilégier la séduction et surfer sur les luttes qui y ont été menées en jouant de la ruse pour parvenir à un détournement d’un combat contre lequel la force brutale a montré ses limites. Ankara et Doha conseillent la stratégie du judoka, d’où l’entreprise de captation-pollution du patrimoine symbolique et mémoriel kabyle. Par contre, la violence politique ne doit épargner aucun site, acteur ou expression dès lors qu’ils sont identifiés comme étant insolubles dans la nouvelle stratégie.

Les termes de l’équation politique actuelle sont donc très simples. Faut-il rejouer la scène qui a conduit l’arabo-islamisme au pouvoir en 1962 ? Il faut bien savoir que les pôles militaire et islamiste du système algérien sont d’accord sur la nature et le contenu politique qu’il faut imposer à la cité algérienne. Ce qui change c’est le couvre chef de la dictature. Dans un cas, elle sera subie sous la casquette, dans l’autre elle sévira sous le turban. Du reste, Rachad ne cache pas ses contacts permanents avec les militaires à chaque fois qu’une opportunité de s’incruster dans le pouvoir se présente. Il ne faut pas oublier que c’est le FLN, c’est à dire l’armée, qui a fait voter le code la famille, pour ne citer que le dossier le plus emblématique de la doxa islamiste. Quand désaccord il y a, il est plus souvent tactique que stratégique. Les deux segments du système ne s’opposent que quand arrive l’heure de la prise ou du partage du pouvoir.

Le MALG qui n’était pas composé d’islamistes, loin s’en faut, fut le maitre d’œuvre de l’enterrement du projet républicain de la Soummam, acte dont ont hérité les Oulémas à l’indépendance, pourvu qu’ils ne revendiquent pas trop de pouvoir régalien. Dit autrement, la piste Rachad est une fausse perspective de changement. C’est la garantie de l’entretien de la tutelle totalitaire, en l’occurrence militaire.

26 juin 2020.

N.B : Des lecteurs ont pris langue avec moi pour se procurer le livre « ALGERIE, L’ÉCHEC RECOMMENCÉ ? ». Ils peuvent s’adresser directement aux éditions Frantz Fanon dirigées par Monsieur Amar Inegrachen. Il est par ailleurs joignable aux numéros de téléphone suivants : 00213.782.215.702 ou 00213.552.397.136.

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