23 Mai 2020
La méthode du pouvoir actuel n’est pas sans rappeler celle adoptée par Boumediene quand il fit adopter sa charte nationale en 1976. Après une mise en circulation confidentielle, le bon peuple, invité à « contribuer », eut droit à une grande kermesse –la première et la dernière sous Boumediene -. Le citoyen se défoula sans retenue dans des conférences ouvertes au public et les organes de presse. Le résultat est connu : on eut droit au socialisme et parti unique décrétés irréversibles, aux constantes nationales…
Parmi les longues et souvent laborieuses contributions - il fallait, en effet, être original sans contrevenir aux codes « révolutionnaires » - qui inondaient El Moudjahid, Révolution Africaine ou les médias audiovisuels, il y en eut une de deux lignes qui fit son petit effet. Je la rappelle ici littéralement: « A quand la primauté du politique sur le militaire ? J’espère avoir contribué ». A notre grande surprise, El Moudjahid la publia.
Etudiants, nous animions le Cercle de culture berbère de la cité universitaire de Ben Aknoun. Nous, aussi, profitâmes de la récréation pour introduire dans l’espace public des idées et concepts alternatifs qui nous tenaient à cœur : histoire anté-islamique, berbérité, pluralisme, référents soumamiens…qui étaient autant de sujets explosifs qui mettront plus de trente ans avant de figurer dans le débat public . Inutile de rappeler le sort réservé « aux réactionnaires » que nous étions.
Nous n’avions aucune illusion sur les intentions et les visées de Boumediene. Pourquoi ? Je ne crois pas trahir la teneur et le sens de nos réserves en les résumant ainsi : on n’assassine pas Khider et Krim Belkacem pour restituer le champ politique à l’arbitrage du citoyen. ( on ne connaissait pas encore les dessous de la séquestration des dépouilles des colonels Amirouche et Haoues ).
Pourquoi ce rappel ? Pour parler du présent. Au delà de la similitude de la démarche actuelle avec celle qui est rappelée plus haut - ruses de régimes illégitimes acculés à des pauses tactiques avant de reprendre leur souffle - il y a, dans les systèmes ancrés dans l’autoritarisme, des signes avant-coureurs qui trompent rarement sur leurs objectifs. Il y aurait beaucoup à dire sur le contenu de cet avant-projet de révision dont la primeur est réservée aux clientèles : accentuation de la concentration des pouvoirs, menace sur la compétitivité économique, amazighité reléguée au second collège… Mais, en vérité tout cela est relativement accessoire devant des faits et décisions observés ces dernières semaines.
L’archaïsme du dernier « commentaire » de la revue El Djeich, organe reflétant les positions du commandement militaire, qui, en la circonstance, tient lieu d’éditorial, laisse peu de doute quant à la volonté de perpétuer le militarisme comme moyen devant continuer à régenter la vie nationale. La justice est toujours aliénée aux objectifs politiques de l’exécutif. Les arrestations des activistes qui se poursuivent implacablement n’ont d’autre but que de prévenir la reprise du mouvement après un confinement qu’il faudra bien lever un jour.
Les réactions paranoïaques opposées aux condamnations d’ONG et aux témoignages de soutien consécutifs à l’arrestation arbitraire du journaliste Khaled Drareni sont des déclarations d’intention anticipant la façon dont sera appréhendée la scène médiatique. La nomination d’un ancien officier du DRS à la tête d’une agence censée participer « à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique nationale de coopération internationale en matière économique, sociale, humanitaire, culturelle, éducative, scientifique et technique» est un message qui confirme la stratégie du statu quo.
Enfin, et peut être plus significatif que tout, tant la sanction impacte les dimensions politique, culturelle et sociale de notre pays : le seul journal amazigh existant est interdit d’impression au motif qu’il est écrit dans le système de transcription international choisi par toutes les communautés qui ont dû se battre contre les aléas de l’histoire et, hélas, bien souvent, contre les abus de leur Etat. Cette décision est plus qu’un programme : c’est une option sociétale.
De même que les assassinats de Khider et Krim, donnaient des indications quant aux objectifs de Boumédiene, ces décisions sont des bornes qui balisent le chemin du projet conservatiste qui a empêché l’accomplissement du destin national.
L’opinion publique qui a fait de cette initiative un non-évènement ne s’y est pas trompée.
Restent trois questions: ce qui était vrai et possible en 1976 peut-il l’être en 2020 ? Faut-il sauver l’Algérie ou le régime ?
Le pays peut-il, va-t-il attendre encore trente ans avant d’affronter les problèmes qui se posent à lui ?
Les Etats Unis, pays démocratique s’il en est, malgré les ruades populistes qui s’y manifestent épisodiquement, vivent avec la même constitution depuis le jour de la proclamation de leur indépendance…un certain 4 juillet 1776.
Saïd Sadi.
Le 13 mai 2020