16 Novembre 2019
« L’armée ne réprimera pas le peuple ». Lancé par le chef d’état major ce mercredi, le lapsus est presque passé inaperçu. Ainsi donc l’hypothèse pouvait être envisagée. Après les rafales de menaces lancées contre « les ennemis intérieurs », les encerclements de la capitale, les arrestations arbitraires, serait-ce là l’annonce, par le creux, de l’ultime argument dissuasif. On demeure perplexe devant tant d’aplomb ou…de niaiserie. Faut-il entendre dans ce surprenant propos une bravade rappelant que cette terrible décision à été déjà prise, un dépit devant un recours désormais impossible ou un appel à témoin pour une suite des évènements que le pouvoir subodore comme étant de plus en plus aléatoire pour lui ? Le yoyo stratégique continue. Et il a de quoi inquiéter.
Plusieurs observateurs l’ont déjà fort justement relevé : des contestations populaires moins massives, moins unanimes et moins durables que celle qui secoue l’Algérie depuis neuf mois ont déjà trouvé écho chez les régimes en place, y compris auprès de sectes militaristes comme c’est le cas au Soudan.
Aucune révolution n’est identique à l’autre et rien ne garantit que les accords passés entre les protestataires et les pouvoirs ne seront pas différés, tronçonnés ou reniés pour peu que la mobilisation et la vigilance citoyennes fléchissent. C’est bien connu, rien n’est définitif en politique et la démocratie est un combat perpétuel.
Il demeure que mise à part l’Algérie - en état de congélation politique proche de celle de la Corée du Nord - et la très particulière situation de Hong Kong, les autres insurrections citoyennes sont en voie de traitement négocié.
Dès le treizième jour de protestation, le gouvernement libanais a démissionné. Au Chili, la contestation populaire, pourtant d’origine sociale, vient de trouver, ce vendredi, un spectaculaire rebondissement politique et symbolique. Un accord global a été dégagé pour procéder à la révision de la constitution héritée de Pinochet. Indépendamment des points qui seront amendés ou abrogés, le gouvernement chilien, qui, lui aussi, a essayé de louvoyer au début des manifestations, a rapidement saisi qu’un pouvoir, même démocratiquement élu, ne peut pas gagner contre le peuple.
L’Algérie, de son côté, reste dans la préhistoire politique. Un général, sorti du rang, bricole et improvise au gré de ses humeurs comme le ferait un de ces sous-officiers putschistes des années soixante dix.
Face à l’une des crises les plus complexes parmi toutes celles qui secouent le Sud ces derniers mois, l’état-major de l’armée algérienne réagit par la surdité, le repli sur soi et la répression. Et même en analysant l’option de fermeture, on serait bien en peine de trouver la moindre cohérence à la démarche chaotique du régime.
Des décisions de justice sont prises de façon erratique dans la capitale, les médias publics sont replongés dans le marigot des années de plomb, le gouvernement est dans la clandestinité, les candidats à la présidentielle, tous issus du sérail, sont mis en résidence surveillée par le peuple qui voit dans l’opération du 12 décembre un viol national. La situation sociale et économique, sous tension de longue date, se dégrade à vue d’œil, accablant encore plus la majorité du peuple précarisé. Enfin, il ne se passe pas une semaine sans que l’on signale des attaques opposant l’armée aux groupes terroristes avec un environnement sécuritaire régional des plus instables.
Alors que le seul lieu de médiation qu’investit le peuple pour exprimer ses exigences demeure le rue, les militaires ordonnent à un parlement illégitime et vérolé de brader les dernières potentialités économiques du pays.
Quel responsable ayant encore un minimum de discernement peut croire possible de jouer la montre dans un tel contexte ? Aucun, sauf celui atteint du syndrome nord-coréen qui autorise des despotes responsables de famines chroniques à organiser leur autocélébration permanente.
Ce tropisme tyrannique où la peur du chef, la couardise et la médiocrité de l’entourage, empêchent toute réflexion pertinente est à l’origine des égarements de l’état-major. Quand on entend un bouffon comparer le chef d’état-major à Ben Boulaid dans un « séminaire sur l’Histoire », c’est que le pouvoir a déserté la sphère du réel.
Alger officiel n’a plus qu’un équivalent dans le monde : Pyong Yang.
Cela pose question. Peut-on décemment faire comme si la raison pouvait encore prévaloir dans le sérail ? Sauf à nous réfugier nous aussi dans le déni, la réponse s’impose d’elle même.
Le 16 Novembre 2019.